lundi 1 novembre 2010

Art dans la Cité soumet un 1er questionnaire à l’artiste avant sa résidence

Pourquoi avez-vous accepté cette résidence à l’hôpital ?
Je connais bien la vie à l’hôpital. J’ai été hospitalisée plusieurs années à la suite d’un grave accident de voiture. Cette expérience n’a pas dérouté mon travail artistique mais l’a enrichi. Je souhaite aujourd’hui aborder cet univers depuis un autre point de vue. Le terme de résidence à l’hôpital me laisse évidemment perplexe.

Ressentez-vous de l’appréhension à travailler dans un hôpital et côtoyer des personnes hospitalisées ?
Je perçois les hôpitaux et les lieux culturels comme des refuges. Je n’éprouve aucune appréhension à travailler dans l’un ou l’autre lieu. Nous sommes tous des patients potentiels. Je ne redoute nullement ces rencontres.

Les contraintes de sécurité et les attentes des équipes soignantes et administratives de l'hôpital font l'objet d'un cahier des charges. Ce cahier qui caractérise l'oeuvre de commande pour un site spécifique de l'hôpital, est-il perçu comme un frein à la créativité ?
Je travaille presque exclusivement dans le cadre de commandes. Il n’y a pas de réelle différence entre la commande d’un hôpital et l’invitation d’un site d’art contemporain ou d’un organisme culturel. Il y a toujours un cahier des charges, même s’il n’est pas clairement énoncé. Je construis tous mes projets dans la spécificité de leur contexte. Le lieu, la durée, le public de l’évènement sont constitutifs de mes pièces.

En quoi, à votre avis, ce projet diffère de votre travail "purement" personnel et en quoi lui est-il lié ?
SALINES prolonge mes recherches sur les espaces immatériels. L’oeuvre s’inscrit dans mon désir de décloisonner les champs d’intervention artistique. Mon travail s’ancre dans une banque visuelle et sonore. Terres, pierres, eaux, nuages... sont engrangés sous forme de photographies, vidéos, programmes... Je réalise prises de vues, prélèvements sonores et travail numérique seule. Certaines formes interactives se construisent avec un programmeur. La seconde partie du travail consiste à inscrire les éléments dans un contexte spécifique. Le cadre peut être un temps, un espace physique, une nuit dans une forêt, trois ans dans un hôpital, une rencontre délocalisée... Les images, les sons sont souvent réduits à des formes élémentaires. Ils tirent leur force de leur adéquation au cadre. Les pièces prennent vie dans ces interactions, ces interstices. Cette méthode exclut toute idée de travail “purement” personnel.
L'architecture de l’espace, sa fonction dans l'hôpital, la spécificité des publics qui seront confrontés à l'oeuvre sont-ils tous des éléments qui ont guidés l'élaboration de votre projet ?
Puis-je répondre par deux listes ?
L’EVEILLON :
Une géographie montagneuse
Un espace architectural peu lisible
Un environnement sonore spécifique (sonnettes des patientes, téléphones...)
Un lieu dédié aux femmes, à la maternité
SALINES :
Un lien entre mer et féminité
Une pièce légère, qui n’ajoute rien mais se substitue aux éléments de l’hôpital
Un éparpillement, une fonction signalétique
Une oeuvre sensitive

Pourriez-vous décrire votre projet (projet artistique et résidence - relation avec les patients) ?
L’oeuvre SALINES est issue de photographies et de sons captés dans la Manche. Elle offre la présence apaisante de la mer dans la géographie montagneuse de Chambéry. Les photographies marines s’animent image par image. Une eau rose mime les pulsations de la chair, se contracte, frémit, résolument féminine. L’animation est infime, se calque sur le rythme cardiaque et se répète en boucle. L’oeuvre joue de la temporalité de la photographie. Elle parle du temps de la gestation, d’attente. Elle est une incitation au calme. L’oeuvre se diffuse dans la dimension intime de petits écrans vidéos dispersés dans la maternité.
Parallèlement, SALINES dessine l’environnement sonore de l’Eveillon. Des bruits de vagues sont programmés comme sonneries sur les téléphones de la maternité. Ils se déclenchent aléatoirement, au gré des appels reçus dans les services, les postes de soins... Un son est offert aux patientes, programmé sur leurs téléphones portables. Elles gardent une trace de leur passage à l’Eveillon et portent SALINES hors de l’hôpital.

Pensez-vous qu'une oeuvre d'art puisse transformer le regard qu'on porte sur un lieu ?
Il ne s’agit pas ici de transformer le regard mais la perception de l’espace hospitalier.
L’hospitalisation implique un mode de vie insulaire. La rue devient subitement inaccessible. La vie s’organise dans des lits à roulettes, des espaces à l’étage, en suspension. Au bout d’un moment, l’espace perd ses repères essentiels. Le contact avec la terre ferme manque, on rêve d’un ciel non plus cadré sur un mur mais au dessus de notre tête, et de s’asseoir sous un arbre.
SALINES répondra peut-être à ce manque. A l’hôpital, les fenêtres ne s’ouvrent pas. Le son Salines offre un souffle, un courant d’air. L’oeuvre invite la mer dans l’hôpital, par petites touches, à tous les étages. Les éléments visuels et sonores se dispersent dans le bâtiment. Ils remplissent une fonction signalétique, posent des repères.

Pensez-vous pouvoir apporter quelque chose de positif aux patients hospitalisés ?
L’hôpital met le corps sous surveillance. Dès le début d’une grossesse, l’échographie fait entendre aux mères le cœur de l’enfant qu’elle porte. L’expérience est saisissante. Ces battements de cœur donnent le tempo aux mers de SALINES. L’Eveillon touche le sujet sensible de la maternité. Si un problème survient, la surveillance s’accroit. Les explorations médicales, leur technicité génèrent de l’angoisse. SALINES utilise les technologies numériques sur un mode onirique. L’espace corporel se superpose à l’espace marin, les animations hybrident imagerie médicale et photographie de paysage. SALINES propose une utilisation alternative de la technologie et pose une image apaisée du corps féminin.
Agnès Caffier, 2010

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